Il y a quatre ans, Kevin Escoffier a vu la mort de près. Alors qu'il navigue dans les 40es rugissants, le skipper à la barre de PRB, 3ᵉ au classement provisoire du Vendée Globe, voit son Imoca se plier en deux. Sa combinaison de survie enfilée, il déclenche sa balise de détresse pour "une importante voie d'eau". "Je coule. Ce n'est pas une blague. MAYDAY", a-t-il tout juste le temps d'envoyer à son équipe, avant de sauter dans son radeau. Il est alors à 14h46, heure française.
"Vous voyez les films sur les naufrages ? C'était pareil en pire !", raconte-t-il après avoir secouru la nuit suivante, à 2h18 du matin, par Jean Le Cam , dérouté pour lui venir en aide. "En quatre secondes, le bateau a planté, l'étrave s'est repliée à 90 degrés, j'ai mis la tête dans le cockpit, y a une vague, j'ai eu le temps d'envoyer un texto, la vague après a tout fait shunter (court-circuiter, ndlr), l'électronique. C'est un truc de barjot ! Plier un bateau en deux, j'en ai fait mais celle-ci…"
Vendée Globe 2020 : le récit de l'incroyable sauvetage de Kevin EscoffierSource : JT 20h Semaine
Entre son appel au secours et son sauvetage épique dans une mer démontée, 11 heures s'écoulent. Onze heures interminables où ils passent "du désespoir au truc de dingue". "C'était Verdun sur l'eau", ose même le rescapé, afin d'imager l'expérience traumatisante qu'il vient de vivre. Un témoignage puissant qui rappelle, s'il le fallait, l'extrême dangerosité du passage aux 40es rugissants.
On entre dans un monde qui n'est pas fait pour l'hommeJérémie Beyou, skipper Charal
Située entre les 40e et 50e parallèles dans l'hémisphère sud, cette zone est réputée pour ses vents violents. Venant majoritairement de l'ouest, ces rafales continues oscillent entre 15 et 20 nœuds, avec des pointes à plus de 25 nœuds (soit 46 km/h). "On arrive à des latitudes extrêmement basses. On est confronté à des systèmes météo globalement dépressionnaires", explique à TF1info Louis Burton (Bureau Vallée 3), qui a pris le départ, à 39 ans, de son 4ᵉ Vendée.
"C'est une zone où on a du vent fort, tout le temps, avec une mer qui va se former. Il n'y a ni terre ni obstacle en mesure de freiner ces dépressions-là ou de les faire changer." Des conditions extrêmes, "proches des conditions polaires", puisqu'il y fait tout d'un coup "froid et humide", souligne le skipper originaire d'Ivry-sur-Seine en région parisienne.
"Il y a une transition vraiment franche, c'est assez violent", nous confirme Jérémie Beyou (Charal), engagé sur son 5ᵉ tour du monde à la voile en solitaire. "On passe du mode short et t-shirt dans les alizés du nord-est au premier froid avec le ciré, les bottes, les moufles et des couches de vêtements en plus. Ce passage dans les 40es marque le début d'un truc qui va être intense. On entre dans un monde qui n'est pas fait pour que les humains y restent longtemps. C'est le royaume des albatros, pas des Imoca à foils." "
On est dans une autonomie complète et totaleLouis Burton, skipper Bureau Vallée 3
Les 40es rugissants ont été découverts, raconte-t-on, au XVIIe siècle par le navigateur néerlandais Hendrik Brouwer, alors qu'il est en route pour le siège de la Compagnie des Indes. Il aurait essayé de rejoindre Batavia, aujourd'hui Jakarta en Indonésie, sans passer par la voie de navigation traditionnelle. Une sorte de voie rapide aux risques et périls des marins qui l'empruntent. "Ce qui rend la zone particulièrement dangereuse, c'est qu'on est en dehors de toute route commerciale. On est trop éloigné de zones urbanisées ou habitées", affirme Louis Burton. "Si jamais on a un problème, seuls les autres concurrents peuvent nous secourir. C'est ce qui a sauvé la vie de Kevin en 2020."
Dans cette immensité bleue déchaînée, où la terre est absente et la mer casse moins, les participants à ce Vendée Globe anniversaire vont se retrouver "dans une autonomie complète et totale". "Quand on arrive là-bas, avec les conditions qu'on rencontre, on a envie de pousser le bateau. Mais, dans un coin de notre tête, on se dit qu'on peut tout péter à la moindre erreur", assure à TF1info Samantha Davies (Initiatives-Cœur). "On réfléchit plus à ce qu'on fait."
"Chaque geste qu'on va réaliser, chaque décision qu'on va prendre peut avoir un impact grave, voire une issue fatale", met en garde le compagnon de la navigatrice Servane Escoffier, cousine de... Kevin Escoffier. "C'est hyper exigeant. Même en étant "explosé" de fatigue, on ne peut pas remettre le fait de résoudre un problème au lendemain." D'autant qu'une fois sortis des 40es rugissants, les skippers ne seront pas tirés d'affaire. Ils continueront leur route vers l'Antarctique, où ils entreront dans les 50es hurlants. Un célèbre dicton marin prévient d'ailleurs : "Sous 40 degrés, il n'y a plus de loi, mais sous 50 degrés, il n'y a plus Dieu."